Dossier Musique et handicap
La musique classique qui change le regard sur le handicap : le combat de la compagnie La clé de Phare
Pour Hélène Liévois, la musique classique peut changer le regard sur le handicap. Éducatrice spécialisée en autisme, elle se bat contre la méconnaissance du handicap cognitif à la tête de sa compagnie La clé de phare.
L’histoire du soldat, Les tableaux d’une exposition, Pierre et le loup, Ma mère l’oie, L’enfant et les sortilèges…le catalogue de la compagnie bretonne La clé de phare affiche fièrement les grandes références du répertoire classique. Pourtant, dans les concerts, spectacles mis en scène sur la musique de Ravel, Tchaïkovski, Prokofiev ou Moussorgski, il n’y a que la partition jouée qui est fidèle à l’original. Et qui est à chaque fois le point de départ d’une œuvre revisitée, recréée sur mesure autour de 19 musiciens et danseurs, membres de l’association et tous porteurs d’autisme, déficients intellectuels ou porteurs d’un autre handicap cognitif.
A l’origine de cette initiative, Hélène Liévois, comédienne, auparavant éducatrice spécialisée auprès de jeunes autistes. Le monde de l’autisme, Hélène l’a bien connu dans toute sa complexité : difficultés de communication, de motricité, hypersensibilité sensorielle, anxiété… après des années d’accompagnement des jeunes porteurs de troubles de développement, au lieu de se concentrer sur les difficultés, elle a décidé d’aller au-delà, et de mettre en valeur leurs compétences spécifiques. « Je travaillais souvent avec les jeunes atteints d’autisme sur les moyens de communication alternative. Or, en me formant à la musicothérapie, je me suis rendue compte que la musique en est un excellent moyen. Un moyen aussi de les pousser au-delà de leurs limites et de les valoriser autrement. »
Hélène Liévois souhaite rapprocher deux mondes qui ne se rencontrent que rarement : celui de la musique classique, et du handicap. « Pour de nombreuses pathologies, la musique classique reste un langage difficile à aborder. Soit du point de vue de la pratique – à cause des difficultés de la motricité, soit en tant qu’écriture. Pour détourner cet obstacle, nous avons décidé de l’aborder de manière très concrète. Chacun participe en fonction de ses compétences, et on a d’excellents musiciens qui apprennent tout à l’oreille.» raconte-t-elle.
Avec Bernard Le Ludec, percussionniste et musicothérapeute, qui anime un atelier de percussions avec les jeunes autistes dans une structure spécialisée, elle se lance dans l’aventure. Leur objectif est de valoriser les compétences spécifiques de chaque jeune membre de la troupe. « Notre troupe est le miroir de la société : les jeunes, âgés de 15 à 34 ans, ont des profils différents. Autisme, déficience intellectuelle…sur scène, la difficulté de rentrer en contact avec l’autrui qu’éprouvent les jeunes autistes est compensée par le contact spontané des personnes trisomiques. En préparant le spectacle les jeunes sont en contact avec les musiciens classiques, avec des professionnels du spectacle, chorégraphes, danseurs, chanteurs, comédiens, techniciens…ce qui leur permet de sortir de la situation de confinement qu’ils peuvent vivre dans des structures spécialisées. Et qui est pour eux un énorme pas en avant en matière de sociabilisation, » conclut-elle.
Une pédagogie de la réussite
Si le concert-spectacle complet, avec une mise en scène, des costumes, une scénographie et des supports vidéo en est le couronnement, la petite troupe travaille dur pendant des mois sur tous les aspects scéniques. Tous les éléments de décor sont fabriqués par des jeunes issus des classes ULIS (unitées localisées pour l'inclusion scolaire) et IME (institut médico-éducatif), et sur la scène, tout commence par une première rencontre de l’œuvre sans même dévoiler l’histoire. Hélène Liévois raconte : «A partir de cette première écoute, les jeunes proposent les éléments d’improvisation qui sont organisés au fur et à mesure que le spectacle se construit. Nous utilisons beaucoup les supports visuels, les images et les vidéos pour que les jeunes arrivent à s’approprier la musique et le mouvement dès que possible. Les costumes sont aussi introduits assez tôt, pour leur faciliter la projection. La créativité est stimulée en permanence. On travaille la représentation corporelle et le mouvement dans l’espace. En fonction de ses points forts, on attribue un rôle à chaque jeune pour l’encourager à dépasser ses difficultés. On n’est pas dans enseignement, on est dans la pédagogie de la réussite, » souligne Hélène Liévois.
Les projets de la compagnie la Clé de Phare font certes rayonner les visages de ses jeunes membres, mais sa mission n'est pas uniquement thérapeutique ou artistique. Pour Hélène Liévois, c'est aussi combattre la méconnaissance du handicap, notamment un handicap invisible, comme autisme, et aider ces jeunes à changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. Son travail ne se limite pas à la préparation des concerts-spectacles : elle se déplace dans les écoles et mène un travail de sensibilisation : « Nous avons réuni 10 000 spectateurs en 10 ans, se félicite-t-elle, mais le problème c'est que sont toujours majoritairement les gens qui connaissent le monde du handicap. Il faut maintenant sensibiliser ceux qui en sont éloignés, pour favoriser l'intégration scolaire, professionnelle et sociale des personnes en situation de handicap. Mais c'est un long combat. »
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